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Avec  Ascenseur pour l'échafaud, Maurice Ronet se paie le luxe d'être « decouvert » pour la troisième fois : mais celle-ci sera sans doute la bonne. 

La première fois, ce fut lorsque Jacques Becker le fit débuter dans Rendez-vous de juillet, en lui donnant pour parents cinématographiques ses propres pa­rents, tous deux comédiens. Le film sorti, Maurice Ronet se vit promu  «le jeune pre­mier de demain». 

Cette promotion ne le ména pas loin. Il venait, en effet, d'être appele au service militaire. Et dans les conditions les plus tragiques : alors qu’il jouait une pièce en tour­née, la convocation des autorités militaires le poursuivit dans toute la France : lorsqu'elle le rejoignit enfin, il avait été déclaré déserteur. Envoyé dans un bataillon disciplinaire, il fit son service dans les conditions les plus penibles et les plus humiliantes et en revint physiquement et moralement si diminué qu'on hésitait à reconnaître eu lui « le jeune premier de demain » que le film de Becker avait annoncé. 

Avec beaucoup de courage, Maurice Ronet décida de repartir á zero;  compléta d'abord, tout seul, ses études ; s'attacha à retrouver un équilibré compromis, une santé chancelante ; enfin dut à Yves Ciampi de faire de nouveaux débuts dans Le Guérisseur. 

Il tourne Les Sept Pèches capitaux (le sketch de La Luxure). La Jeune Folle, Lucrèce Borgia. Enfin, René Wheeler, pour son premier film, Châteaux en Espagne, lui offre un rôle de torero. Danielle Darrieux pour partenaire et l'Espagne tout entière pour décor. Pour la seconde fois, on découvre alors Maurice Ronet : sa sensibilité affinée, son ­talent mûri, son personnage physique maintenant établi, attirent a nouveau sur lui l'at­tention. On apprend la variété de ses dons, de ses curiosités. On voit presque, en lui, notre Mel Ferrer : avec lequel, en effet, il présente bien des points communs. 

Sa carrière se déroule maintenant sans à-coups:  il tourne Gueule d'Ange à Paris, Casta Diva en Italie, Section des disparus à Buenos Aires, Sous le plus petit chapiteau du monde à Londres, La Sorcière à Stockholm. II est toujours juste, convaincant ; mais les personnages qu'il incarne ne lui conviennent peut-être qu'a moitié. On a, un peu, l'im­pression qu'il piétine. 

Avec Celui qui doit mourir, de Jules Dassin, le ton change. Maurice Ronet y est admirable de force contenue, de chaleur secrète. Il crée un personnage que l'on n'ou­bliera plus. 

Et lorsque Ascenseur pour l'échafaud lui permet, enfin, de donner sa mesure, le pu­blic et la critique découvrent, pour la troisième fois,  il est vrai, un des acteurs les plus personnels de sa génération : le moins fade des jeunes premiers qu'il fut ; le plus atta­chant des grands premiers rôles, qu'il sera.

 

GEORGES BEAUME. — A partir de quel moment avez-vous eu l'impression qu'on allait enfin vous offrir les rôles qui vous intéres­sent ? 

MAURICE RONET. — Je ne me fais pas d'illusions : un grand nombre des rôles que l'on a pu me proposer, et quelques-uns de ceux que j'ai tournés, ne me convenaient guère. Dans la carrière de chaque comédien arrive un moment, malgré tout, où les per­sonnages qu'on lui confie et ceux dont il rêve coïncident. J'ai senti l'amorce de ce mouve­ment après « La Sorcière » ; il est devenu manifeste avec « Ascenseur pour l'échafaud ». J'espère qu'il s'accentuera encore avec mes prochains rôles. En tout cas, je commence à me sentir bien dans ma peau cinématogra­phique...

G. B. — Qui considérez-vous comme un acteur accompli, et pourquoi ? 

M. R. — Popeye, Mickey et Jojo le Mérou. Ils ignorent la caméra. Ils sont toujours en situation. Et ils n'ont pas moins de présence que Bogart, Brando ou Marilyn Monroe.

G. B. — Aimez-vous l'argent ? 

M. R. — Surtout quand il me manqué.

G. B. — Que faites-vous du vôtre ? 

M. R. — Je paie mes impôts, hélas ! S'il m'en reste, il file on ne peut plus vite ! C'est probablement parce que je le dépense. A quoi ? Je serais bien incapable de vous le dire. Je ne me suis jamais posé la question.

G. B. — On vous a fait une réputation de don Juan. Est-ce que, pour autant, les fem­mes jouent un rôle capital dans votre exis­tence ? 

M. R. — Permettez-moi d'être sybillin. Je vous répondrai par une phrase de Claudel,  dans « Le Soulier de satin », dona Prouhèze s'écrie : « Rodrigue a créé un monde, et moi, j'ai créé Rodrigue ! »

G. B. — Et le scotch ? 

M. R. — Quoi, le scotch ?

G. B. — Joue-t-il un rôle important ? 

M. R. — Nous nous sommes perdus de vue depuis quelques mois. Il fut un temps où j'en buvais a mon petit déjeuner ; sans doute, une (mauvaise) influence des romans de Heming­way...

G. B. — On assure — mais que ne dit-on pas ? — que vous avez du goût pour la phi­losophie. Comme cela se traduit-il dans votre vie pratique ? 

M. R. — J'ai, en effet, un goût un peu dis­parate pour toutes sortes de philosophies.  Jongler avec les idées générales est un sport comme un autre, et que je pratique plus vo­lontiers qu'un autre. Ceci dit, je ne pense pas que Nietzsche, ou Heidegger, ou Rama-krishna aient eu une influence directe sur ma vie pratique. Peut-être ai-je acquis, au contact de ces penseurs, au départ une cer­taine assurance, qui m'a servi ; et maintenant une certaine inquiétude, qui me sert toujours.

G. B. — Quels sont les défauts que vos amis vous prêtent et ceux que vous vous re­connaissez? 

M. R. — Mes amis trouvent que je parle trop : moi, je trouve que je ne parle pas

assez...

G. B. - C'est tout ? Vous êtes modeste… 

M. R. — Je suis immodeste, voulez-vous dire... Je dois bien avoir quelques autres dé­fauts, peut-être capitaux ; mais je ne m'en suis jamais préoccupé.

G. B. — Vous arrive-t-il de tout planter là, de fuir, et de tenter une cure de solitude ?

M. R. — En fait, je redoute la solitude : et je la retrouve, malgré moi, au moment où je m'y attends le moins, et presque a chaque instant de mon existence. De là, sans doute, cette impression que je donne parfois de chercher à m'étourdir

G. B. — Votre courrier d'admiratrices, y répondez-vous régulièrement ? Et dans quels terme?

M. R. — Régulièrement, non ; mais j'y réponds. Cela me prend par à-coups. J'essaie de me mettre au diapason de mes correspon­dantes. Cela demande une certaine gymnas­tique d'esprit, qui ne manque pas de charme.

G. B. — Lorsqu'on vous photographie , à l'improviste, êtes-vous tenté de rectifier la position, et de présenter votre meilleur pro­fil

M. R. — Mes deux profils se valent. Et un objectif n'exerce sur moi aucune espèce de séduction. Je sais qu'il y a des comédiens qui ne peuvent pas voir un appareil photogra­phique sans lui faire les yeux doux, ça n'est pas mon genre. Sinon, j'aurais épousé une femme-photographe.

G. B. — Je vous rencontre souvent très tard dans la nuit, ici ou là. J'en conclus que vous aimez la vie nocturne. Qu'y trouvez-vous d'excitant ?

M. R. — Puisque nous nous rencontrons, je pourrais vous retourner la question... Je ne pense pas aimer particulièrement la vie noc­turne. J'aime la vie, en général ; il m'arrive assez souvent de l'aimer tard le soir. C'est tout.

G. B. — Quand êtes-vous paru pour la dernière fois sur une scène ? Quel souvenir en avez-vous conserve?

M. R. — L'an dernier, pour le Festival de l'Eure, j'ai joué en plein air le « Roméo et Juliette » de Shakespeare, dans son texte « resserré » par Jean Cocteau. Nicole Berger  était Juliette. La représentation n'a pas été un succès. Mais, pour ma part, j'ai conservé un souvenir ébloui de ma rencontre avec un des personnages les plus attachants du théâtre de tous les temps.

G. B. — N'aimeriez-vous pas retrouver ce' « éblouissement » ? Qu'attendez-vous pour récidiver ?

M. R. — Si. Et je lis beaucoup de pièces, à cet effet. Aucun des manuscrits qui m'ont été communiqués ne m'a séduit tout à fait. En revanche, je réve de jouer le rôle d'Ed­mond dans « Le Roi Lear », « Miguel Manara » de Milosz, et « Arden de Feversham ». Peut-être même, plus tard, « Hamlet ». Je voudrais en outre régler la mise en scène de ces spectacles. Et je monterai volontiers le premier à l'occasion d'un festival : rien n'est plus merveilleux que de jouer, la nuit, en plein air, sous les étoiles...

G. B. — Vous me citez des pièces difficiles, des rôles complexes. Peut-être est-il temps de vous rappeler que vous passez pour un acteur « intellectuel »...

M. R. — Puisque les gens veulent à tout prix vous coller une étiquette sur le dos, celle-là ou une autre... Je ne vois pas très bien ce que ça veut dire, « acteur intellec­tuel ». Si c'est le fait d'éviter de penser, de dire, ou de faire trop de bêtises, qui me vaut cette réputation, je l'accepte. Je me considère pourtant comme le contraire d'un intellectuel. Je suis plus sensible et intuitif que réfléchi et intelligent. Tout cela, bien entendu, avec des nuances.

G. B. — Pas intellectuel, soit... Mais vous écrivez tout de même des scénarios : tout se sait ! Comment trouvez-vous votre point de départ ? Et comment vous y prenez-vous en­suite ?

M. R. — J'essaie d'écrire des scénarios, ce qui n'est pas tout à fait la même chose qu'en écrire. Sans intention jusqu'ici précise d'ail­leurs. Pour mon plaisir. Le point de départ ? Il vient à moi, je n'ai pas à le chercher. Par la suite, les personnages m'échappent un peu, se mettent à vivre leur vie propre, me décon­certent souvent ; c'est cela qui est passion­nant. Je suis en quelque sorte le premier spec­tateur des histoires que je me raconte. Je verrai plus tard à y intéresser les autres.

G. B. — Préférez-vous les gens bavards ou muets ?

M. R. — Bavards, s'ils m'intéressent. Muets, s'ils sont bêtes. A moins que nous n'ayons pas besoin de parler pour nous comprendre : je ne vous apprendrai pas à quel point c'est rare !

G. B. — Chez une femme, par quoi êtes-vous d'abord frappé ?

M. R. — Le sens de l'humour. Les yeux. Et des tas de choses qu'il est peut-être délicat d'indiquer ici ; et qui n'ont en tout cas rien à voir avec le sens de l'humour.

G. B. — Supposons — ce qu'à Dieu ne plaise — que pour une raison ou pour l'autre, votre carrière stoppe net. Qu'envisageriez- vous de faire ?

M. R. — La recommencer. Et si je n'y par­venais pas, j'écrirais, je ferais de la mise en scène, du théâtre. En tout cas, je ne quitte­rais pour rien au monde les métiers du spec­tacle...

G. B. — Est-il un pays au monde où vous accepteriez de vivre, si vous deviez quitter la France ?

M. R. — De vivre définitivement ? Aucun, hormis la France. Mais, pour un séjour, même long, je préfère les pays de soleil et d'oli­viers : je me plais beaucoup en Espagne, que j'ai découverte, naguère, en tournant « Châ­teaux en Espagne ».

G. B. — Aimez-vous la danse ? Laquelle ? Où ?

M. R. — La danse noire, la danse espagnole, le carnaval de Rio : tout ce qui est une ex­plosion de joie populaire. J'aime également danser à trois heures du matin, dans une « boite », lorsque je suis avec quelqu'un à qui j'ai envie de parler de bouche à oreille...

G. B. — Vous avez souvent l'air assez triste. Seriez-vous de tempérament mélanco­lique ?

M. R. — Mélancolique ? Pourquoi ? Parce que je ne suis pas turbulent ? Je ne me crois pas en représentation chaque fois que je suis devant quelqu'un. Si, par moment, je deviens triste, c'est que je suis assailli à nouveau par ce sentiment de solitude dont je vous ai parlé. Colette a parlé, et fort bien, de « la solitude irrémédiable d'être un homme ».

G. B. — Quelles partenaires vous souhai­tez-vous ?

M. R. — Danielle Darrieux, Marilyn Monroe, Audrey Hepburn.

G. B. — Il y a quelque chose comme dix- huit mois, votre carrière a marqué un très net fléchissement. A quoi l'attribuez-vous ?

M. R. — A moi seul. Je traversais une pé­riode de moindre résistance. Soyons franc : je me laissais aller, et dans tous les domaines. J'en ai subi les conséquences jusque dans ma carrière. Je me demande si je n'avais pas cru un peu, fût-ce en m'en défendant, que « c'était arrivé ». Je me suis ressaisi. Ma car­rière s'en est tout de suite ressentie.

G. B. — Pourquoi vous êtes-vous marié, très ieune ? Pourquoi avez-vous divorcé, très vite ?

M. R. — Parce que c'était elle. Parce que c'était moi.

G. B. — Quelles études avez-vous faites ?

M. R. — Des études tronquées, dispersées, inachevées. Lorsque je suis revenu du service militaire, j'avais une telle conscience de mes manques, que je me suis inscrit à l'Institut Philotechnique. C'est là que j'ai appris les rudiments des systèmes de pensées. Je ne sais rien bien à fond, mais j'ai une teinture de presque tout.

G. B. — Pratiquez-vous la musique ? La peinture ?

M. R. — L'une et l'autre, à mes heures. Je joue de l'orgue, du piano. J'ai eu un contrat, naguère, avec une galerie de peinture ; j'ai même vécu quelque temps en vendant mes toiles. J'ai de moins en moins le temps : je perds la main. Je le regrette.

G. B. — Etes-vous, pour conclure, devenu l'homme que vous souhaitiez être ?

M. R. — J'aimerais connaître l'homme qui oserait répondre « oui » à cette question !

© Cinémonde № 1231, 1958

 


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