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"On ne peut pas lever sa seringue à la santé d'un ami!”

Maurice Ronet: Oui à l'alcool, non à la drogue...

 

Maurice Ronet est probablement l'acteur français le plus prolifique, puisqu'à qua­rante-cinq ans il a déjà derrière lui quelque soixante-dix films. La maturité n'a pas ralenti son activité et il dispose en définitive de fort peu de temps pour accueillir ses amis dans la vaste résidence qu'il possède près de Bonnieux, dans le Vaucluse, et où il fait un saut chaque fois qu'un plan de tournage lui laisse plus de deux jours de répit. Cette activité fébrile, il l'explique de la manière la plus naturellle...

—  Un acteur qui ne tourne pas n'est plus un acteur. Un architecte peut s'arrêter de travail­ler un certain temps, il reste un architecte. Mais un acteur ne se définit, par rapport à son mé­tier, que dans la mesure où il joue. Cette théo­rie m'a conduit à jouer dans des films pas tou­jours très heureux. Peut-être parce que je m'in­téresse davantage aux personnages qu'aux his­toires et que j'ai une manière bien particulière de faire venir les personnages à moi plutôt que d'aller à eux. On me propose des personnages forts — même celui de « L'Odeur des Fauves » l'était — et cela m'intéresse. Pendant trop long­temps cependant, j'ai incarné des héros néga­tifs. J'ai besoin de plus de dynamisme. Et c'est sans doute la raison pour laquelle j'ai eu besoin d'aller tourner en Indonésie ce document sur les derniers dragons de notre temps.

—  Ce fut une aventure fantastique?

—  Dans ces îles à l'est de Java, il en existe encore quelques milliers. Ce sont des lézards géants qui mesurent trois mètres de long. On n'a jamais su s'il s'agissait vraiment de transfu­ges de l'ère secondaire. Ils se nourrissent de viande animale, particulièrement de sangliers. Ils les assomment d'un coup de queue, les égorgent, les laissent pourrir quelques jours et viennent les manger dans une odeur de charogne épouvantable. Je me suis approché de l'un de ces monstres à cinquante centimètres. Leur tête est assez horrible et ressemble assez à celle de grosses tortues. J'ai rapporté de là-bas six mille mètres de pellicule. Je compte en tirer un film de quarante-cinq minutes.

—  Vous apparaissez dans le film?

—  Non, j'ai été l'animateur de l'entreprise. Nous étions quatre, mon coproducteur, moi- même et deux caméramen. Si j'ai été fasciné par ces dragons, c'est surtout parce qu'ils re­présentent dans la mythologie occidentale le Mal, alors qu'en Orient il est adoré et craint. En ce sens, je crois que Mao Tsé-toung est un avatar du Dragon. Mais de la manière dont se sont déroulées nos investigations, l'aspect phi­losophique s'est estompé devant un film mer­veilleux sur la terre, l'eau, le feu et les animaux.

 

 

« B.B. EST MERVEILLEUSE... »

—  « Et si don Juan était une femme? » est votre deuxième film avec Brigitte après « Les Femmes »...

       — C est vraiment une fille admirable. Elle a une vraie personnalité, ce que j'appellerai une autonomie intellectuelle. Elle refuse les idées reçues, les slogans et chaque fois qu'elle donne son avis sur quelque chose ou quelqu'un c'est toujours personnel. Elle est d'une sponta­néité désarmante. Je trouve aussi qu'elle a beaucoup de mérite sur le plan professionnel, parce qu'elle est très consciencieuse et d'une grande humilité. Elle ne correspond guère à l'idée qu'en ont donné certains journaux. C'est une fille qui s'est faite toute seule. Evidemment, elle a trouvé l'appui de Vadim quand elle n'était encore qu'une gosse. Mais depuis, elle n'a eu besoin de personne pour faire son chemin. Je l'aime beaucoup.

—  Quels sont vos rapports dans le film de Vadim?

—  Celui d'un don Juan et d'une femme qui l'est encore plus que lui. Mon personnage est celui d'un homme politique un peu austere, marié, père de famille. II rencontre cette fille et il fait l'amour avec elle, parce que, de temps à autre, il se permet une incartade. II lui dit « Vous savez, moi c'est vingt-quatre heures et ensuite c'est fini! » Mais elle s'accroche à lui naturellement puisqu'il la fuit. Et quand elle l’a brisé, qu'elle l'a fait renoncer à sa famille, a sa carrière, à son appartement, elle le rejette et le type devient une épave. Il met le feu à sa mai­son et se jette sous un bulldozer. Le personnage de Brigitte se rapproche assez de celui de Lola dans « L'Ange Bleu ».

« HUIT JOURS AVEC UNE FILLE ET PUIS... »

—  Vous retrouvez là votre personnage de sé­ducteur déchu...

—  D’ou me vient cette réputation de séduc­teur? Je n'en sais rien. La seule fois que j'ai joué vraiment un rôle de séducteur dans « La Femme Infidèle », de Claude Chabrol, il s'agis­sait vraiment d'un don Juan de bazar. Raphaël n'était qu'un séducteur de prostituées, fasciné uniquement par la déchéance. Ne parlons pas du « Feu Follet ». Alors? Ma vie privée? Je n'ai pourtant jamais défrayé la chronique, pas pro­voqué de scandale, pas eu de liaisons tumul­tueuses. Peut-être cette réputation tenace est- elle la conséquence de ma façon de vivre. J'ai­me boire un coup et même deux avec les co­pains et prolonger le jour dans la nuit. Et puis je suis célibataire... Mais si je ne me marie pas c'est pour ne pas avoir à divorcer. Je crois que je suis tombé dans un circuit fermé. On prend goût à l'indépendance et il est difficile d'y re­noncer. Et puis, on se montre toujours de plus en plus invivable. On change de lièvre. Je vous assure que j'aimerais me fixer, avoir des gos­ses et mener une existence à peu près normale. Mais le pli est pris. Je crains qu'il ne soit trop tard. Quand je commence à vivre à deux, au bout de quelques jours, il faut que je m'en aille.. J'ai rompu un jour avec une fille parce que j'avais trouvé une de ses robes dans ma penderie. Et c'était dans un hôtel! C'est maladif. Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond quelque part, je ne sais pas exactement où ni pourquoi. Je n'ai été marié qu'une fois avec Maria Pacôme. C'est une femme merveilleuse et que j'adore. Mais on s'est beaucoup mieux entendu après notre divorce. Nous n'avons ja­mais très bien compris ni l'un ni l'autre pour­quoi nous nous étions mariés. Le lendemain des noces, je suis parti pour trois mois. Quand je suis revenu, nous avons déménagé pour habiter à l'hôtel. Nous sommes allés à droite et à gau­che, chez des amis... En fin de compte nous n'avons jamais été seuls ensemble. Il était logi­que que nous divorcions. Mais j'ai été marqué par cette rupture parce qu'un divorce vous lais­se une sentiment d'échec évident.

« JE N'AI PAS SU FAIRE CE QUE J'AURAIS VOULU »

—  Avez-vous le sentiment de n'avoir pas réussi votre vie comme vous le désiriez?

—  C'est certain. Parce que je n'ai pas fait ce que j'aurais voulu faire. Parce que je regrette surtout de n'avoir pas mis en scène plus de films. « Le voleur de Tibidabo », que j'avais écrit, dirigé et interprété en Espagne en 1964, fut un tel échec que je ne m'en suis jamais remis. Je venais de jouer dans « Le Feu Follet », de Louis Malle, qui m'a valu un gros succès d'acteur dramatique. Et mon erreur fut sans doute de tourner ensuite une farce qui ne correspondait pas à l'idée que les spectateurs pou­vaient se faire de moi. Et pourtant ce film est mon préféré. D'ailleurs de tous les films que j'ai tournés, ce ne sont pas toujours ceux qui ont obtenu le plus de succès auprès du public qui  ont ma faveur, mais ceux qui ont le mieux situé mon personnage : « Le Feu Follet » bien sûr. Mais aussi les films de Chabrol. « Le Scan­dale » par exemple ou nous avons essayé tous deux de voir jusqu’où nous pourrions aller.

—  Vous jouez toujours des personnages mar­ginaux...

—  il y a tant de gens marginaux aujourd’ hui. Mes personnages pouvaient être peintres, ac­teurs, auteurs, sociologues, ou tout simplement oisifs. Ils sont toujours très proches de moi. Je n'appartiens pas a cette catégorie d'acteurs comme Michel Bouquet, pour lequel j'ai une grande admiration, qui composent, qui ont besoin de réfléchir à leur personnage, de l'ana­lyser, de savoir quel journal il achete le matin et ce qu’il mange à midi. Moi, je procède inver­sement : j'apporte mes experiences personnel­les et ma sensibilité au personage. Quand ça tombe sur des rôles comme celui du « Feu Fol­let », du « Scandale » ou de « Raphaël le Dé­bauché », je suis à l'aise dans le costume. Je parle du personnage comme si je parlais de moi...

« C'EST BON, LE VIN... »

—  Est-ce pour amener le personnage à vous que Louis Malle a fait du « Feu Follet » un al­coolique et non un drogué comme dans le roman de Drieu La Rochelle?

—  Louis Malle disait que la drogue à l'épo­que (nous étions en 1963) mettait une distance entre le spectateur et le héros alors que l'alcool est accessible à tout le monde et que pratique­ment tout le monde en a senti les effets. Cha­que génération a la drogue qu'elle mérite. Le haschisch, la marijuana, l'héroïne sont des dro­gues d'expectatifs, de contemplatifs, c'est de la supertélévision!

—  Mais vous, vous êtes plutôt pour l'alcool...

—  Absolument. Je suis pour l'alcool parce que c'est un véhicule social bien qu'il détraque quelque peu le système nerveux… Et puis c'est bon... Surtout le vin! La drogue, c'est ridicule. On ne peut pas lever sa seringue à la santé d'un ami. Et puis avec l'héroïne et le LSD, il n'y a pas de bonnes et de mauvaises années!

—  Je vous ai posé cette question parce que vous avez joué à l'écran, très souvent, de nom­breuses scènes d'éthylisme où vous sembliez particulièrement à votre aise...

—  Remarquez qu’il me serait impossible de jouer une telle scène en état d’ébriété. Parce que, quand je suis ivre, je fais tout pour me recuperer. Quand je suis à jeu au contraire, je peux me laisser aller. Je peux donc parfaitement contrôler mon rôle.

—  Le cinéma ne s'intéresse pas uniquement à l'éthylisme. Il a de plus en plus tendance à trouver d'autres sources de divertissement dans la politique et l'érotisme...

—  Je deteste les films dits politiques ou polé­miques. La politique au cinéma c’est l'intelligence des imbéciles. Certains prétendent que tout est politique. Donc un documentaire sur les mar­mottes peut être politique. Mais moi, je vais vous avouer une chose: le cinéma d'idées  m’ em… Quant au cinéma érotique, je n’aime pas beaucoup ça non plus... Maintenant j’ai vu des films qui étaient érotiques parce qu’ils vous obligeaient à regarder en vous. Ils traitaient des choses de l'amour avec une profondeur qui for­çait l’estime. Mais j’ai vu aussi un jour un film allemand avec des travellings sur des sexes. J'ai mis deux jours à me debarrasser de l'im­pression désagréable que m’avait laissé ce film.

LES RATS ET LES SERPENTS...

—  Sans descendre jusqu'à la pornographie, un acteur est tout de même amené à jouer des scènes un peu intimes...

—  Mais alors, c'est en fonction d'un objectif, d'une caméra, d'une situation dramatique, d'un personnage. Donc, ce n'est pas gênant. La cho­se la plus délicate qu'il me soit arrivé de tour­ner était d'un autre domaine. Dans le film que nous faisions pour la télévision, avec Alexandre Astruc, d'après « Le Puits et le Pendule » d’Ed­gar Poë, un rat devait venir se promener sur ma figure. Vraiment, à ce moment-là toute l'équipe était à la frontière du jeu. Je me de­mandais où était l'acteur là-dedans. Car je n'étais plus un acteur, mais un type dont le métier était d'avoir un rat sur la gueule et cela a forcé le silence sur un plateau de télévision où généralement tout le monde braille. Il n'était plus question d'interprétation. J'éprouvais la ré­pulsion naturelle d'un gars qui a un rat sur la figure. Et dans mon prochain film, qui s'appelle « Le Malfrat », je vais me trouver confronté avec le même problème. J'ai en effet à jouer une scène avec un serpent et je ne sais pas comment je m'en sortirai parce que j'éprouve une répulsion horrible pour les serpents...

—  On vous a très peu vu au théâtre...

—  J'ai joué, à la Michodière, il y a très très longtemps, une pièce de Jean-Pierre Aumont qui s'appelait « Un beau dimanche », avec François Périer. Et après, j'ai tout de suite été pris par l'aventure du cinéma qui me passionne pour ce qu’elle représente dans la vie moderne. En fait, j ai toujours fui les sentiers battus. Je n'aime pas les choses trop classiques. Et je dois dire que le milieu théâtral dans lequel j’ai débuté était envahi de préjugés et d'idées toutes faites que j’ai rejetées en bloc. Aujourd'hui je pense que les choses ont beaucoup évolué. Un exem­ple : j’avais proposé a cette lointaine époque une mise en scène de « Richard III » à la Comé­die des Champs-Elysées. On m’avait ri au nez. Mais trois ans plus tard, Jean Vilar montait cette piece de Shakespeare et personne ne songeait à rire. Dans le domaine du théâtre traditionnel — je ne parle pas du théâtre moderne — les gens ont tendance a vivre en circuit ferme. Ils sont encore moins aventureux que les gens de cinéma...

LES « COMPETENCES » DE LA T.V...

—  Et votre experience de la télévision?

—  En dehors de I’adaptation d’Astruc, « Le Puits et le Pendule », qui était un veritable film, j’ai tourné une dramatique, « L’Heure Eblouis­sante » qui m’a fait découvrir que la télévision cumulait toutes les difficultés du théâtre et du cinéma. Nous tournions des sequences de six à sept minutes, ce qui constitue déjà une performance théâtrale, mais nous n’avions pas le contact avec le public. En outre, le metteur en scène devait choisir entre deux attitudes : être sur le plateau et diriger la scène ou rester de­vant ses écrans « video » et choisir les images enregistrées. Mais il ne peut être partout en même temps.

—  Etes-vous satisfait du monopole d'Etat dont bénéficie la T.V.?

—  je crois qu’il est nécessaire que l’Etat con­trôle la télévision. Sur le plan de l’information, cela n’est pas très grave parce que nous vivons sous un régime libéral quoi qu’on en dise et qu’en dehors des journaux télévisés proprement dits qui sont assez neutres, il’est loisible à l’opposition de se manifester. Mais là où cela devient critique, c'est au niveau des compé­tences. Dans une entreprise privée, quand un accessoiriste, un technicien, ne font pas l'af­faire, on les remercie. Dans une entreprise d’Etat, on se contente de les déplacer... Tout est là!

Guy Teisseire

© Ciné-Revue № 41, 1972 


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